jeudi 27 juin 2013

Adolescence


Ni lui, ni moi, ne parlions beaucoup. C’était le plus beau mec de la bande, surtout lorsqu’il gardait sa barbe d’un jour qui lui donnait cet air canaille dont toutes les filles de cet âge sont folles.

Je le croise encore parfois, au détour de ma mémoire, dans la splendeur de ses 17 ans. Cette impalpable et volatile attirance qui flottait entre nous, jamais nous ne l’avons concrétisée. J’attendais qu’il me prenne la main, qu’il me guide. Il ne l’a jamais fait, que dans la danse.

D’une manière difficile à expliquer, il était différent, riche d’une vie intime plus complexe, plus secrète que les autres...

Différent, il l’était aussi quand il dansait. Il inventait des pas, des passes, se concentrait sur un rythme intérieur impulsé par la musique, hors de toute convention. Aucune fille ne parvenait à entrer dans cet univers. Aucune autre, à part moi.

J’ai connu de bons, de très bons, et de très mauvais danseurs. Lui, il fut autre chose. Mon partenaire, dès la première fois où il m’a invitée à danser. Mon double. Dès les premières notes, nous entrions dans un monde qui n’appartenait qu’à nous. Je comprenais, sans qu’il le dise, tous ses mouvements, ses invites muettes, et j’y répondais exactement, sans réfléchir.

Nous aurions du faire l’amour. Nos corps étaient fait pour se mouvoir ensemble.

J’ai quitté la bande, il y a de nombreuses années. Jetée dehors, sans avoir le loisir de m’expliquer, sans une seconde chance, sans un adieu. Effacée.

Il n’a fait aucun geste, indifférent et froid. Ni lui, ni moi, ne parlions beaucoup...

mercredi 26 juin 2013

2012


Deux enfants.
7834 bisous.
Une grande maison.
29 crises de larmes.
5 coups de pied, une main courante.
Une grippe et deux rhumes.
5 coups de poing.
Une plainte.
Une décision.
Un lit gonflable.
Un seul sac pour trois.
Une bouteille de champagne rosé.
Un petit appartement. Zéro lave-vaisselle.
Un lit superposé.
La moitié des vacances de Noël.
Deux enfants.
Un spectacle au cirque.
Un carré de chocolat.
Une pneumonie.
Un papillon blanc.
Deux bras ouverts.
Un sourire.
Quatre balayages chez le coiffeur.
Une peur au ventre.
Deux photos de classe.
78 livres.
1227 SMS.
Un repas partagé.
Deux enfants.

mardi 4 juin 2013

La girafe et le crocodile


La girafe est l'un des rares animaux qui vont l'amble. La légère oscillation imposée par ce pas contrebalance d'une certaine nonchalance la majesté de son coup droit et long.

Ne vous y fiez pas. Lorsqu'il le faut, elle court aussi vite qu'un cheval, ses longues jambes avalant les arbustes et bientôt seule une poussière orange et fine vole dans le soleil, là où se tenait la girafe.

La girafe a besoin de grands espaces, d'air pur et de voir loin. Elle se soucie parfois trop tard du terre à terre si bas, du médiocre qu’elle foule de ses longues jambes longues.

La girafe a de grands cils rêveurs de fille.

 Le crocodile, lui, tend des embuscades et dévore l’animal qui passe à sa portée. En période de famine, le crocodile sait se contenter de poissons et de ces vagues choses molles qui s’agitent dans l’eau tiède. Mais il aime la viande.

La vie du crocodile tourne autour de ça, et il n'a plus de raison d'être s'il n'a plus de proie.
Ce peut être une gazelle, un gnou ou bien un zèbre, des animaux malades, trop faibles ou nourrissons.

Ce que le crocodile aimerait attraper plus que tout, c'est l'une de ces lointaines girafes qui galopent.

Le crocodile est là, caché dans sa mare, les yeux sans cesse ouvert. Son immobilité même est sa plus grande tromperie, elle porte inscrite en elle la menace latente et la violence inouïe de ses attaques passées et futures.

Parfois, une girafe s'approche pour boire. Elle regarde à gauche, à droite, point de danger, à ses yeux. La girafe est méfiante, mais ne l’est pas assez.

Son long cou se penche vers l'eau fraîche, l’eau pure, l’eau vitale. Et la girafe est vulnérable.

Alors, s'il doit attaquer, le crocodile attaque. S'il parvient à attraper la girafe par le cou, au défaut de la mâchoire, à l'immobiliser, à l'empêcher de relever la tête, une lutte s'engage qui peut durer des heures, des jours, des années, à qui cédera le premier. Le crocodile tente d'entraîner lentement sa proie vers l’eau profonde, il l’étouffe et l'épuise peu à peu pour pouvoir la noyer. La girafe, elle, plante fermement ses sabots dans la boue de la rive, et résiste, guette le moment infime où le crocodile voudra réaffirmer sa prise et entrouvrira les mâchoires un court instant.

Il y a toujours un moment infime, lorsque le crocodile croit avoir gagné. Un seul. Si elle est très attentive et très résistante, elle pourra relever la tête d'un grand coup, avaler une goulée d'air, tourner les talons et partir au loin en galopant, sans jamais se retourner.

La lutte à mort est engagée. Plus le crocodile est expérimenté, plus la girafe devra être solide pour pouvoir survivre.

La girafe qui s’échappe en sort marquée à vie. Parfois même, la blessure de son cou s'infecte, et dans ce climat chaud et lourd l’infection s’étend vite. La girafe finit par en mourir.

Mais, le plus souvent, la blessure cicatrise lentement, laissant une trace plus ou moins importante, une boursouflure pâle sur le cuir beige et brun.

Et jamais plus, au grand jamais, cette girafe là ne se fera attraper à nouveau par un crocodile.